Fin de la Minusma : retour à la case de départ?

En demandant le 16 juin 2023, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la Stabilisation du Mali (Minusma) de se retirer sans délai, le gouvernement de transition du Mali a une nouvelle fois surpris les observateurs de la crise sahélienne, dont le Mali est l’épicentre depuis 2012. La brouille diplomatique entre le Mali et ses ex-partenaires occidentaux ne semble pas se terminer sitôt. Le 30 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté à l’unanimité la résolution 2690, mettant fin au mandat de la Minusma. Finalement, les autorités maliennes et l’ONU sont tombées d’accord sur un délai de 6 mois pour le retrait de la Minusma. Ce retrait doit s’organiser entre les deux autorités conjointes du 1 juillet au 31 décembre 2023.

C’est une décision inattendue de l’aveu de beaucoup d’analystes politiques. Même si le gouvernement de transition avait posé pas mal de difficultés à la Minusma quant à son fonctionnement, peu d’analystes imaginaient que le Mali allait franchir ce cap. Si la spontanéité de la décision peut surprendre, elle se situe dans une logique que la junte a adoptée depuis le 2e coup d’Etat militaire du 24 mai 2021. Depuis cette date, la junte a amorcé une rupture avec ces partenaires traditionnels occidentaux pour se rapprocher avec la Russie, son nouvel partenaire militaire, dans la lutte qu’elle mène contre le terrorisme. De ce fait, elle a fait appel aux éléments de la milice privée Wagner qui seraient entre 1500 et 2000 mercenaires à opérer au Mali, même si le gouvernement malien a toujours nié leur présence en parlant plutôt « d’instructeurs russes ». Le point de non-retour de cette brouille diplomatique semble être la publication d’un rapport le 12 mai 2023 sur Moura, par le Haut-Commissariat des droits de l’homme à Génève, où l’on évoque plus de 500 morts civils avec seulement une trentaine de djihadistes. Dans ce village de Mourra, situé dans le cercle de Djénné (Région de Mopti), les Forces Armées Maliennes (FAMA) accompagnées de leurs supplétifs russes du groupe Wagner sont soupçonnés d’avoir procédé entre le 27 et le 31 mars 2023 à des massacres de populations civiles, en plus des cas de viol contre les femmes et les jeunes filles.

Un hiatus entre l’attente du gouvernement et la mission réelle de la Minusma

L’analyse de la crise sahélienne illustre un phénomène nouveau qui est le ressentiment des populations africaines à l’égard des forces Onusiennes. Dans le cadre de la Minusma, cette méfiance des populations ne peut être comprise que par rapport à l’incapacité de cette dernière à faire face à la propagation du terrorisme au Mali, mais aussi au-delà de ses frontières. Depuis le départ, il y a un quiproquo sur la nature du mandat de la Minusma. En dépit de son budget colossal (1, 2 milliards de dollars avec plus de 15 000 effectifs), le mandat de la Minusma ne donnait pas de feu vert pour combattre les groupes armés terroristes au Mali. C’était avant tout une opération de maintien de la paix, en occurrence l’Application de l’Accord de Paix et la Réconciliation (APR). A dire vrai, la Minusma n’avait pas non plus vocation à remplacer l’armée malienne dans sa fonction régalienne de défense du territoire malien. En termes de communication, la Minusma ne semble pas avoir suffisamment communiqué sur cette réalité de son mandat.  Le gouvernement de transition malien semble avoir beaucoup joué sur ce point comme si, la Minusma ne remplissait pas toutes ces fonctions. Le désamour avec la population locale semble venir de cette incompréhension, utilisée à bon escient par le gouvernement via ses officines de propagande. Pour la population locale, à quoi sert la Minusma si elle ne peut enrayer la spirale terroriste ? Pour l’opinion publique malienne, le principal défi au Mali reste la lutte contre le terrorisme. Que cela ne soit pas prise en compte par la Minusma était quelque chose d’incompréhensible pour la population malienne.

En vérité, la rupture était consommée depuis très longtemps entre le gouvernement de transition et ses anciens alliés occidentaux. Il y avait un décalage réel entre les attentes des autorités de la transition et la Minusma. Il est indéniable que la présence la Minusma obstruait considérablement les activités militaires des FAMA et des éléments de Wagner. Le volet « Droits de l’homme » de la Minusma était significatif de ce hiatus en raison de la publication du rapport de Moura que les militaires maliens au pouvoir ont très peu apprécié. Les conséquences de ce rapport ont été directes puisque les Etats-Unis ont pris des sanctions contre deux officiers militaires maliens (Col Moustapha Sangaré et le Col-Major Lassina Togola) soupçonnés d’avoir joué un rôle crucial dans ce massacre de masse qui reste aujourd’hui « une épine dans le pied » de la transition. À cela s’ajoutent les sanctions économiques jugées « très dures » par Bamako, qui avaient été prises par la CEDEAO le 9 janvier 2022, pour non-respect par les militaires des échéances électorales de février 2022. Ces sanctions portaient entre autres sur la fermeture des frontières entre le Mali et les autres Etats membres de la CEDEAO, le gel des actifs maliens au sein de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ou le rappel des ambassadeurs des pays membres etc. Ces sanctions avaient été approuvées et par l’Union Africaine et par l’Union Européenne.

Les militaires au pouvoir aujourd’hui semblent être préoccupés par l’élargissement des sanctions à leur encontre suite à la publication du rapport de Moura. La présence donc de la Minusma devenait de plus en plus problématique pour eux. Mais en plus des risques de procédures judiciaires ou des sanctions économiques des occidentaux contre les militaires, la vraie question de cette demande de retrait semble être la rupture totale avec Paris.

Avec la Minusma, la « France est toujours là »

La Minusma est un projet français dont l’objectif n’était pas très clair au départ. C’était un projet flou. Depuis la création de la Minusma en 2013, la France y jouait un rôle central et les postes stratégiques clés étaient occupés aussi par les Français. Rappelons aussi, que c’est la France qui avait été à l’origine du G5-Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), une force conjointe militaire pour combattre le terrorisme et censée à terme remplacée Barkhane avant que le Mali ne s’y retire pour protester contre le non-respect de la présidence tournante. Les autorités maliennes y ont vu derrière cela également, la main de la France à tort ou à raison.

Mais pour les Français, le rôle principal de la Minusma n’était pas de faire la guerre contre le terrorisme mais plutôt pour le maintien de la paix. La résolution 2364 du Conseil de sécurité en 2017 avait fait de l’APR, le cœur du mandat de la Minusma. Le Conseil de sécurité voulait que toutes les parties signataires (groupes armés du Nord ; gouvernement de Bamako) s’inscrivent dans cette synergie de paix. Or, il n’en a rien été puisque l’APR n’a jamais été appliqué totalement. Les groupes armés n’ont jamais été désarmés. Avec ce départ entériné le 30 juin 2023, nous sommes dans une sorte de retour à la case de départ, avec une aggravation de la situation sécuritaire.

De plus en plus, pour l’opinion publique malienne voire africaine, ces opérations de maintien de paix sont une couverture pour les puissances occidentales. Donc pour une grande partie de l’armée malienne et de l’opinion publique, la présence de la Minusma est la preuve que la France n’est jamais partie en réalité, depuis le départ des troupes françaises du Mali en août 2022. Cela est alimenté par le fait que la force Barkhane démantelée, est juste de l’autre côté de la frontière au Niger. Or, pour mener à bien ce processus de rupture avec l’ancien partenaire militaire privilégié – qui est aussi l’ancienne puissance coloniale – il fallait donc aller au bout de sa logique. La demande de retrait de la Minusma par les militaires au pouvoir doit être analysée aussi par ce truchement. Cependant, force est de reconnaitre qu’à son actif, la Minusma n’a pu stabiliser ni le Mali, de même que la région du Sahel. En plus, les groupes djihadistes présents au Mali n’ont fait que gagner du terrain en se dispersant au Sahel. L’Etat islamique au Sahel (EIS) commence à s’implanter durablement dans la région des 3 frontières (Mali, Burkina, Niger) appelée aussi le Liptako-Gourma. A part la ville de Ménaka, une grande partie des communes sont sous contrôle de l’EIS ou des civils sont exécutés pour n’avoir pas respectés la « Charia ». Dans les régions du centre, c’est plutôt le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaida est présent avec comme fief, le Delta Intérieur du Niger, où est partie la Katibat Macina. 

Mais cette décision soudaine n’a pas été prise au hasard, eu égard aux évènements politiques qui ont précédé la date du 16 juin. Le 14 juin, le Colonel Assimi Goita annonçait sur son compte twitter, s’être entretenu au téléphone avec son homologue Russe Vladimir Poutine. Il ajoute que la discussion a porté sur les « relations diplomatiques, économiques et sécuritaires ». S’il est difficile de savoir exactement la teneur de cet échange téléphonique, nul doute que le gouvernement du Mali a reçu l’aval de la Russie – qui a un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU – dans sa décision de réclamer le départ de la Minusma.

De même, le président Algérien Abdelmadjid Tebboune qui était attendu pour une visite d’Etat en juin en France, s’est finalement rendu en Russie du 13 au 15 juin. Lors de son séjour en Russie, il a été reçu en audience au Kremlin par Vladimir Poutine. L’Algérie est un maillon essentiel dans cette crise du Mali et la déclaration du président algérien sur l’Accord de paix et de réconciliation est pleine de sens. Il a affirmé que « le problème du Mali ne se règlera qu’à travers les Accords d’Alger – sous-entendu la question de Kidal – le problème du Mali ne se règlera pas par la force ». Il semble que le président Algérien ait été informé des intentions belliqueuses du Mali et que cette sortie ne soit pas tombée dans l’oreille d’un sourd du côté malien.

Quelles conséquences pour le retrait de la Minusma ?

Avec la récurrence des attaques terroristes de l’EIS dans la région du Liptako-Gourma et du GSIM dans les régions du centre du Mali, plus la présence des milices privées comme Wagner ou des groupes d’auto-défenses, c’est un doux euphémisme que de dire que la situation sécuritaire au Mali s’est fortement détériorée. Si la Minusma n’a pas pu enrayer la spirale terroriste, le retrait de la Minusma ne ferait qu’aggraver cette situation sur un plan sécuritaire. Sur un plan logistique, la Minusma a son importance. Elle dispose de deux bases au centre, neuf au nord du Mali. Elle a une grande base à Bamako. La Minusma assurait une grande partie du transport aérien entre les villes du sud et du nord au Mali. Ce qui a permis de garder une unité de façade, avec la présence des membres des groupes armés au gouvernement. Sur le fond les problèmes politiques n’ont pas été réglés.

Le départ probable de la Minusma pourrait revigorer les groupes djihadistes, quand on sait que lors de la récente attaque de la base des FAMA de Sévaré, ces derniers ont reçu le concours des Casques Bleus sénégalais. Cependant, l’armée malienne a fait énormément d’acquisitions de matériels militaires depuis son choix d’opter pour la guerre dans la résolution de la crise multiforme que traverse le pays. Et les dirigeants militaires semblent être surs de leur capacité à occuper le terrain, d’autant plus qu’ils peuvent compter sur les soutiens de leurs « alliés russes ». Le départ de Barkhane ne semble pas avoir aussi pénalisé l’armée malienne comme pouvaient le penser bon nombre d’analystes politiques. Il est vrai aussi que Barkhane a été remplacée par des mercenaires aux méthodes discutables, se souciant peu des questions de Droit de l’homme. Toujours est-il que l’impact du départ de la Minusma peut s’avérer difficile à combler, en termes de coût économique (chômage) d’autant plus que les dirigeants maliens sont silencieux sur ce qu’ils feront des bases de la Minusma.

Mais la principale question de ce retrait de la Minusma est l’éventualité d’une reprise des hostilités entre Bamako et Kidal, que l’APR était censé garantir. Pour beaucoup d’observateurs, Bamako lorgne une offensive militaire sur Kidal, qui selon un calcul cynique leur permettrait de prolonger leur présence au sommet de l’Etat et reporter les échéances électorales de février 2024. En cas d’une ‘‘ hypothétique victoire ’’, ce sera la garantie pour eux rester au pouvoir, car les maliens leurs seront reconnaissant à jamais. Nous en sommes encore loin de cette politique fiction. Une chose est sure, les 10 ans de présence de la Minusma auront servi à rien d’un point de vue politique, puisque nous sommes de retour à la case de départ, avec une accentuation des défis sécuritaires.

Themba Zuri est un chercheur sur la Sahel.

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