Au Sénégal, la fin de la présidence de Macky Sall sur fond de crise politique

Le président Macky Sall, élu en 2012, entame ses derniers jours à la tête du Sénégal. Son second mandat prend fin le 2 avril 2024 dans un contexte difficile marqué par une crise politique sans précédent et des manifestations politiques qui ont causé la mort de jeunes sénégalais. Ces trois dernières années, le Sénégal a vécu au rythme d’affaires judiciaires avec pour principale conséquence l’arrestation et l’inéligibilité de Ousmane Sonko, principal opposant au régime de Macky Sall. Le Sénégal s’apprête à fermer le chapitre de la présidence Sall dans une configuration inédite ou président sortant n’est pas dans la course de même que son principal opposant. Le 24 mars 2024, les Sénégalais se rendront aux urnes pour élire leur nouveau président parmi 19 candidats en lice.   

Le Sénégal sous tension depuis mars 2021

En 2019, le président Macky Sall est réélu dès le premier tour pour un second mandat. Cette victoire a été contestée dans un premier temps par ces concurrents mais ces derniers n’ont pas introduit de recours. Il procède à une réforme majeure sur le plan institutionnel avec la suppression du poste de Premier ministre. Le président Sall conduit lui-même avec ses ministres la politique de l’État.

En mars 2021, la capitale Dakar et certaines villes du Sénégal ont connu des manifestations violentes à la suite de l’arrestation de l’opposant et député Ousmane Sonko, accusé de viols par une jeune masseuse d’un salon de beauté. Lors de ces émeutes violentes qui ont duré cinq jours, l’organisation Amnesty International a dénombré 14 manifestants tués. Arrivé troisième lors de l’élection présidentielle de 2019 avec plus de 15% et dont la popularité auprès des jeunes ne cesse de croitre, le leader du Parti PASTEF Sonko sera inculpé pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée alors qu’il se rendait au tribunal pour répondre à une citation à comparaître pour une affaire de viol.

Il sera finalement placé sous contrôle judiciaire. Le parti de Sonko et une frange de l’opposition ont vu en cette affaire un complot pour éliminer un opposant et ont vite fait de faire le lien avec les affaires Karim Wade et Khalifa Sall. L’ancien ministre Karim Wade a été condamné en 2015 à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite. L’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall a été condamné en 2018 pour escroquerie sur les deniers publics. Ils n’ont pas participé à l’élection présidentielle de 2019 à la suite de ces condamnations. 

Ces évènements de mars 2021 qui ont plongé le Sénégal dans une situation inattendue constituent le premier acte d’un cycle de trois séries de manifestations meurtrières.   

Sur le plan politique, la mouvance présidentielle fait face à une grande coalition de l’opposition réunie autour d’Ousmane Sonko et de Khalifa Sall, ancien de maire de Dakar. Cette coalition dénommée « Yewwi Askanwi » (« Libérez le peuple » en langue wolof) connaît une percée importante lors des élections locales (élection des maires et des présidents des conseils départementaux) de janvier 2022. Elle s’adjuge les principales grandes villes du pays notamment Dakar, Thiès ou Ziguinchor fief de Sonko ou il est élu maire.

Quelques mois plus tard, en juillet, le Sénégal a failli basculer dans un système de cohabitation lors des élections législatives. L’opposition par l’entremise d’une inter-coalition obtient 80 sièges sur 165 ce qui est une première dans l’histoire parlementaire du Sénégal. Le président Macky Sall perd sa majorité absolue de 125 députés obtenue lors de la précédente assemblée. L’opposition installe un rapport de force à l’Assemblée nationale.

En juin 2023, le pays renoue avec des manifestations violentes à la suite de la condamnation du leader de l’opposition à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse ». Il a été acquitté des accusations de viols et de menaces de mort. Ousmane Sonko avait refusé de comparaitre à ce procès et il sera condamné par contumace. A l’annonce du verdict, des foyers de tensions éclatent dans la capitale et dans des villes de l’intérieur du pays dont Ziguinchor. Le gouvernement sénégalais annonce le décès de neuf personnes tuées lors de ces nouvelles manifestations. Le Parti d’Ousmane Sonko indique que plus de 1500 personnes dont beaucoup de leurs militants arrêtés dans le cadre de manifestations seraient en prison. Ousmane Sonko est finalement arrêté le 28 juillet 2023 à Dakar. Le procureur affirme qu’il fait l’objet d’une enquête pour « divers chefs de délits et crimes ».

Dans ce contexte de tension, le président Macky Sall a déclaré le 3 juillet 2023 qu’il ne sera pas candidat à un troisième mandat. Son camp et ses partisans ont tout mis en œuvre pour le pousser à se lancer dans la course présidentielle mais une certaine lucidité politique a prévalu quant à son choix de ne pas être candidat dans ce contexte tendu. Une telle décision aurait certainement conduit le pays dans le chaos. Finalement, le président Macky Sall joint à l’acte les nombreuses déclarations allant dans le sens du respect de la constitution en ne faisant que deux mandats. Son Premier ministre Amadou Ba sera désigné candidat de la coalition présidentielle et la mouvance présidentielle va connaître des candidatures dissidentes.    

Le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024, une première au Sénégal

A la surprise générale, le 3 février 2024, le président Macky Sall s’est présenté aux Sénégalais en annonçant l’abrogation du décret convoquant le collège électoral. Cette décision historique annule de fait l’élection présidentielle du 25 février 2024. Au Sénégal, l’élection présidentielle s’est toujours tenue à date échue. Il y a une forme de sacralisation de l’élection présidentielle au Sénégal. La date du scrutin figure dans la Constitution, c’est-à-dire le troisième dimanche du mois de février.

Dans son argumentaire, le président Macky Sall a parlé « d’un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges ».

Une commission d’enquête parlementaire sur deux des sept juges du Conseil constitutionnel a été créée à la suite de l’initiative du groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais qui accuse le Premier ministre Amadou Ba de corruption de deux juges ayant conduit à l’invalidation de la candidature de son candidat Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Ce dernier a été disqualifié en raison de sa double nationalité française.

Dans l’urgence, l’Assemblée nationale a saisi le président Macky Sall, pour avis, conformément à son règlement intérieur, d’une proposition de loi constitutionnelle en procédure d’urgence portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution avec une proposition de la tenue de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Cette loi constitutionnelle allongeant la durée du mandat présidentiel (cinq ans) sera votée à l’Assemblée nationale le 5 février 2024 avec le soutien de la majorité présidentielle dont le candidat est accusé de corruption. Les Sénégalais ne se rendront pas dans les bureaux de vote le 25 février comme le stipule la Constitution. 

Le Conseil constitutionnel, ultime arbitre du processus électoral désavoue le président Sall

Face à ce report de l’élection présidentielle, le pays est plongé dans l’incertitude. L’opposition exprime son désaccord et les candidats appellent à un rassemblement contre le report du scrutin à Dakar le 5 février. Les tentatives de rassemblement ont été dispersées par les forces de défense et de sécurité. Des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre vont éclater dans plusieurs quartiers de Dakar, ainsi que dans certaines villes du pays. Ces manifestations causeront la mort de trois jeunes dont un étudiant de l’Université de Saint louis dans le nord du pays.  

La décision du Conseil constitutionnel, ultime arbitre du processus électoral est attendue. Le 15 février 2024, le Conseil constitutionnel à travers deux décisions oppose un cinglant désaveu à l’égard du président Macky Sall et de l’Assemblée nationale.

Dans son arrêt, le Conseil constitutionnel a en effet rejeté les deux textes fondant le report de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. D’un côté, « le décret n° 2024-106 du 3 février 2024, portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, est annulé ». De l’autre, « la loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution, adoptée sous le n° 4/2024 par l’Assemblée nationale, en sa séance du 5 février 2024, est jugé contraire à la Constitution ».

Le Conseil constitutionnel fait remarquer dans sa décision l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date du 25 février 2024. Il invite les autorités compétentes à organiser le scrutin dans les meilleurs délais en tenant compte de la fin du mandat du président Macky Sall au 2 avril 2024.

Le président Macky Sall décide d’organiser un dialogue national avec plusieurs parties prenantes (les candidats, les candidats recalés, la société civile, les syndicats, les religieux et autorités coutumières) pour déterminer la nouvelle date de l’élection présidentielle et identifier les options après le 2 avril date de la fin de sa présidence. 17 des 19 candidats refusent de participer à ce dialogue national et lui demandent de fixer la date de l’élection présidentielle. Ils saisissent le Conseil constitutionnel pour faire constater la carence du chef de l’État.

Une grande coalition de la société de la société réunie autour du slogan « Protéger notre élection » rejoint cette même ligne. Malgré les polémiques, à l’issu de ce dialogue national, la date du 2 juin est retenue pour l’organisation de l’élection présidentielle. Cette date est rejetée par une frange importante de la population. Le Président Macky Sall décide de saisir le Conseil constitutionnel pour avis.

Le 6 mars 2024, dans sa décision, le Conseil constitutionnel rejette la proposition de reporter la présidentielle au 2 juin. L’organe juridictionnel rappelle au président que son mandat prenait fin le 2 avril, et qu’il ne lui était donc pas possible d’organiser un scrutin après cette date-butoir. Enfin, le Conseil constitutionnel confirme la liste des 19 candidats à la présidentielle. Dans une seconde décision concernant la requête des 16 candidats lui demandant de constater la carence du président et l’absence d’une date pour la présidentielle, l’organe juridictionnel fixe la date de l’élection au 31 mars. Le même jour en conseil des ministres, le président Macky Sall fixe la date de l’élection au 24 mars 2024. 

Le Conseil constitutionnel confirmera la tenue de l’élection présidentielle à la date du 24 mars, en application de décrets du président de la République notifiés à la haute juridiction. Cette décision historique du Conseil constitutionnel sauve le processus électoral. 

Le Sénégal, une démocratie solide en Afrique de l’Ouest

Le Sénégal est l’un des rares pays de l’Afrique de l’Ouest à ne pas avoir connu de coup d’État. La population est habituée à voter et à débattre. Le pays connu deux alternances historiques en 2000 et 2012. Il est vrai que le report de l’élection présidentielle a soulevé beaucoup d’inquiétudes car le pays est considéré comme une vitrine de la démocratie dans la région. Depuis 2020, nous assistons à une résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest avec des pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger ou encore la Guinée qui sont actuellement sous transition militaire.

Le Sénégal, dans ses moments les plus difficiles, a toujours trouvé les ressorts pour perpétuer sa tradition de démocratie majeure dans la région. Dans cette séquence politique cruciale, le Conseil constitutionnel a fait preuve de courage et de responsabilité. L’organe juridictionnel a joué son rôle et a fait respecter les dispositions de la Constitution. En 2016, il avait indiqué au président Macky Sall qu’il ne pouvait pas réduire la durée son mandat quand ce dernier a voulu satisfaire une promesse de campagne. Le Conseil ne pouvait pas revenir en 2024 et valider l’allongement de neuf ou dix mois la durée du mandat présidentiel. Cela serait une violation explicite d’une des dispositions intangibles de la Constitution, ce que le Conseil constitutionnel a clairement rappelé dans sa décision du 6 mars.

Cet acte est un signal fort dans un système politique fortement dominé par le président de la République qui concentre énormément de pouvoir et nous avons cette même architecture institutionnelle dans pratiquement tous les pays de la région. Le président Macky Sall qui a finalement pris acte de la décision du Conseil en fixant la date du scrutin au 24 mars 2024. Cet épisode montre encore une fois que le Sénégal est une exception démocratique dans une région frappée par une série de coups d’État.

Un des leçons de cette séquence sénégalaise est qu’il faut revoir le fonctionnement des institutions qui manifestement souffrent de la toute-puissance du pouvoir présidentiel. Il y a nécessité de renforcer dans les pays d’Afrique de l’Ouest toutes les institutions qui assurent l’équilibre des pouvoirs, dont font partie les juridictions constitutionnelles mais aussi l’Assemblée nationale.

Le Sénégal demeure encore une source d’inspiration démocratique alors que les tensions politiques ont été fortement médiatisées ces derniers mois. Seulement, il faut rappeler que les différentes manifestations depuis mars 2021 ont causé la mort de plus de 70 personnes selon les organisations des droits humains. A ce propos, le président Macky a proposé un projet de loi d’amnistie concernant les faits en lien avec les manifestations qui ont eu lieu entre février 2021 et février 2024.

Cette loi d’amnistie adoptée par l’Assemblée nationale le 7 mars fait l’objet de nombreuses critiques et a été rejeté par l’opposition et notamment le parti PASTEF. Ousmane Sonko, dans les liens de la détention (depuis juillet 2023) et le secrétaire général du parti Bassirou Diomaye Faye (depuis avril 2023) sont libérés le 14 mars. Diomaye Faye dont la candidature a été validée représentera les couleurs du parti de Ousmane Sonko face à l’ancien Premier Ministre Amadou Ba, candidat de la mouvance présidentielle.

Il faut espérer que l’élection présidentielle du 24 mars 2024 se déroule dans le calme et la transparence et que le nouveau président puisse ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire démocratique du Sénégal.

Babacar Ndiaye, analyste politique et sécurité et directeur de la recherche et des publications du think tank WATHI.

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