L’environnement international actuel, entièrement dominé par deux conflits majeurs – celui d’Ukraine et celui entre israéliens et palestiniens – laisse peu de place au Sahel. Aussi est-il réconfortant de voir cette rencontre consacrée à ce Sahel.
L’insécurité au Sahel, vieille, sous sa présente forme, de plus de dix ans, est désormais structurelle, ancrée. Elle est devenue redoutable pour ses voisins et, au-delà, pour ses partenaires extérieurs en particulier, européens et nord-américains. Aujourd’hui plus que par le passé, le Sahel devient indissociable de vastes mouvements migratoires, des divers trafics en particulier celui des drogues et des blanchiments d’argent. Des trafics qui aussi alimentent le terrorisme et confirment la corruption.
Plusieurs causes sont à l’origine de ces tendances lourdes. L’enracinement de la corruption en est l’une des principales. Ses conséquences perverses, dont la ‘’retribalisation’’ des états au détriment de l’unité nationale, en est des plus caractéristiques. La tribu, voire la région natale du leader national devient la priorité des gouvernants mais aussi et en même temps, la cible des opposants radicaux.
Face à ces développements qui s’enracinent et s’étalent dans la région, une réponse appropriée s’impose. Elle devrait bénéficier de consensus politiques nationaux et, pour sa crédibilité, compter sur un soutien des partenaires extérieurs du Sahel.
En dépit d’un contexte international déstabilisé par les guerres en Ukraine et entre Israéliens et Palestiniens ainsi que celles de Libye et du Soudan, l’expansion des violences au Sahel ne sert nulle part la paix. Pire, elle enracine le processus de déconstruction des états. Les interventions extérieures, même moins efficaces que souhaité, restent d’indispensables démonstrations de solidarité et de dissuasion face aux groupes armés, souvent plus financièrement que religieusement motivés.
Expansion et enracinement des violences terroristes.
Région de et à hauts risques, le Sahel vit depuis plus d’une décennie de crises multidimensionnelles. Les guerres civiles, les coups d’état, les trafics divers, y compris celui des migrants, ont bouleversé la stabilité en Lybie, Mali, Burkina Faso, Niger, Soudan et dans les états autour du Lac Tchad. Cette déconstruction continue des états semble irréversible, la Lybie et le Soudan constituant des exemples non encourageants.
Vivre avec, ou plutôt sous les contraintes d’un terrorisme enraciné et en expansion, est dévastateur pour les populations et destructeur des états. Au-delà des pertes humaines, sa plus grande victime est la crédibilité des institutions publiques. Affaiblies voire détruites. S’y ajoutent l’effondrement de la cohabitation entre les communautés nationales et le rétrécissement de la base des économies de survie. Implanté, le terrorisme ruine la sécurité et, pire, la crédibilité des institutions en particulier celles chargées du développement.
Au-delà des violences, communes à tous les terroristes, l’une des singularités de celui du Sahel est sa présence, à travers des communautés tribales, dans plusieurs pays voisins. Cette contiguïté géographique offre, solidarité tribale oblige, une fluidité de mouvements permettant de passer aisément les frontières. Cet avantage l’aide à résister aux forces de sécurité nationales ou étrangères obligées de respecter les frontières. Par ailleurs, les approvisionnements en armes, véhicules, carburant, nourriture, endoctrinements de jeunes et la neutralisation des élites, s’en trouvent facilités. Il en va de même des solidarités tribales. En fragilisant le sentiment national, le terrorisme renforce son propre ancrage territorial en affaiblissant d’autant les solidarités nationales au sein des états. Des états qui, face aux violentes épreuves, risquent de s’effondrer au profit de forces centrifuges propices à la criminalité et à l’anarchie.
Collectivement ou individuellement, avec ou sans partenaires extérieurs, les états du Sahel, pour leur propre survie, doivent se ressaisir. Eradiquer ou pour le moins marginaliser le terrorisme et ses effets pervers est prioritaire.
Eradiquer ou vivre avec le terrorisme
Dans les années 1970, l’Europe et l’Amérique latine avaient réussi à se libérer des terroristes ‘’Bande à Baader, Brigades Rouges et autres Tupamaros. Peut-on espérer autant pour le Sahel ? L’Afghanistan et la Somalie vivent depuis des décennies avec et sous un terrorisme plus tribal dit-on que religieux. Qu’en sera-t-il du Sahel composé de plusieurs états indépendants ou tribalisme et régionalisme explosent ?
Que l’évolution suive celle de l’Amérique latine ou de la Somalie il faut surtout craindre les implosions domestiques que vivent la Libye, le Soudan et bientôt d’autres pays. La tendance vers une anarchie structurelle est renforcée par plusieurs facteurs. Celui de l’économie criminelle n’est pas des moindres.
Le Sahel, avec sa production d’or devenue depuis une décennie son autre marque déposée, exerce un attrait financier pour les terroristes, leurs parrains et des officiels locaux. Il est entré dans une phase encore plus périlleuse où les transactions financières irrégulières autour du métal précieux, explosent. Elles financent le terrorisme, curieusement, une source de leurs revenus en or !
La région est également dotée de matières premières et particulièrement en minerais stratégiques convoités par de grandes firmes internationales. En l’absence de stratégie consensuelle pour leur gestion, l’implosion que vivent le Soudan et la Libye et la paralysie politique, comme en Somalie, se dressent à l’horizon. Le Sahel reste exposé aux nombreux impacts du changement climatique et à ceux d’une forte croissance démographique et d’une urbanisation rapide et anarchique. Tout ceci affecte les conditions de sécurité des populations. Les ignorer ou minimiser n’est pas la solution.
Souvent peu préparées et faiblement équipées, les forces nationales de sécurité restent marquées par l’ethnisme et le régionalisme et ceci dès le recrutement. La qualité et l’efficacité de leur combativité s’en trouvent fragilisées et épuisées après plus de dix ans de combats. De leur côté les terroristes restent des forces complexes, hybrides, transnationales et en expansion continue. Pire, elles opèrent à travers des éléments civils qui créent la confusion et poussent les forces légales à des abus humanitaires.
Dans ce contexte, les gouvernements du Sahel devraient revoir leur gestion des guerres que subissent leurs pays depuis plus d’une décennie. Sur le plan intérieur des efforts afin d’acquérir plus de respectabilité pour les gouvernements est prioritaire. Avec les facilités de communication, l’expansion des réseaux sociaux et la concurrence au Sahel entre puissances extérieures, les gestions étatiques devraient être moins tribalistes et plus transparentes. A cet égard, en discréditant des gouvernements, le tribalisme, appuyé sur une corruption arrogante, car impunie, reste le meilleur allié des terroristes. Au contraire, plus de transparence affaiblit le discours des radicaux et renforce la sécurité nationale.
Sur le plan international, présentement fort embouteillé, la coopération entre les états du Sahel et leurs voisins du Maghreb devrait être plus bénéfique pour tous. Malheureusement, ce voisinage et les intérêts communs demeurent otages de certains clans idéologiques. A cet égard, le Maghreb, d’où sont descendus vers le Sahel les premiers terroristes est aussi le principal passage des émigrés sahéliens vers l’Europe.
Dans cet esprit, les trois ensembles – Europe, Maghreb et Sahel – devraient, faute de pouvoir contenir les mouvements migratoires, mieux les gérer entre les trois Régions. Leur principale difficulté réside dans leurs dénis répétés des réalités. En effet, l’Europe, malgré les dénégations politiques et le rejet officiel de l’immigration, reste demandeuse de main d’œuvre et, au-delà de leurs silences, le Sahel et le Maghreb sont fournisseurs involontaires de ces travailleurs.
Ahmedou Ould-Abdallah est président du Centre pour la stratégie et la sécurité au Sahel-Sahara et membre du conseil d’administration de l’ICDI. Cet article est une adaptation d’un discours prononcé lors de la cinquième conférence « Dialogue Sahel-Sahara » organisée par la fondation politique allemande Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) et qui s’est tenue les 14 et 15 mai à Dakar, au Sénégal.