Lors du sommet des pays producteurs de gaz que l’Algérie a organisé en mars 2024, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a réservé un accueil chaleureux à ses hôtes du Maghreb. Lors de ce sommet, il été convenu que les trois dirigeants se donneraient rendez-vous dans un délai de trois mois afin de discuter des moyens visant le renforcement de la concertation et le partenariat entre leurs pays. Si l’objectif affiché à Alger est louable, pourquoi l’initiative Algerienne d’un sommet tripartie à Tunis a fait l’objet de moult interprétations et de spéculations. La réponse est connue: le Maroc est absent de cette rencontre.
Le traitement médiatique de la réunion qui a eu lieu à Tunis le 22 avril 2024, à l’invitation du président tunisien M. Kais Said a été surdimentionné et la publicité donné à l’événement dépasse largement les attentes des organisateurs. Certains commentateurs ont condamné cette initiative à l’échec avant que les initiateurs de ce projet explicitent son contenu. D’autres ont crée à la trahison d’un idéal, celui de l’Union du Maghreb Arabe. En réalité, il ne s’agit pas de créer une nouvelle organisation régionale. Il ne s’agit pas non plus d’enterrer l’Union du Maghreb Arabe, certes en veilleuse, mais toujours là.
L’UMA est en panne en raison des divergences profondes entre les deux poids-lourds du Maghreb, l’Algérie et le Maroc sur la question du Sahara occidental. Divergence accentuées depuis la normalisation des relations entre le Maroc et Israel. Une telle séquence a réduit à néant les tentatives de médiation et de reconciliation entre les deux grands voisins. Pour l’Algérie, la menace est sérieuse. Au-delà de la normalisation, c’est la proximité de cette menace installée désormais à ses frontière qui pèse sur sa sécurité. L’Algérie n’est pas rassurée à l’idée de voir Israel investir dans le dossier sécuritaire et militaire au Maroc. Pour Alger, c’est un tournant dans sa relation avec Rabat.
Les mutations actuelles dans le système régional et le système international ainsi que les menaces qui pèsent sur la sécurité de l’Afrique du Nord incitent régulièrement les dirigeants du Magreb à réfléchir sur un nouveau paradigme pour assurer leur sécurité et faire face à des nouveaux défis d’ordre sécuritaire et économique. Faute d’avoir un espace commun de consultation, les régimes politiques du Maghreb réagissent en ordre dispersé et cherchèrent des solutions d’une manière unilatérale ce qui affaiblit leur riposte et les rend plus vulnérables. Fort de sa prolixité avec Israël, Le Maroc ne voit plus la nécessité de chercher une approche commune. Force est de constater que l’Algérie est l’Etat le plus exposé à des menaces en provenance du Sahel et de la Libye. Ce pays fait face à une instabilité structurelle depuis la chute de Colonel Kadhafi et à l’échec du processus transitionnel.
La Libye ne dispose pas de capacités militaires suffisantes pour contrer une ingérence de plusieurs Etats dans ses affaires internes. Son voisin du Sud, le Tchad, est désormais une cible privilégiée courtisée par La France depuis son retrait du Mali et du Niger ainsi que par la Russie et certaines monarchies du Golfe. Une situation qui inquiète fortement Alger. D’autant plus qu’elle s’ajoute au renversement des régimes politiques au Niger et au Mali et l’arrivée d’une nouvelle élite militaire méfiante à l’égard de l’Algérie. Le rejet des accords d’Alger par les autorités maliennes constitue dans la foulée un défi majeur pour la politique étrangère de l’Algérie dans la région. Par ailleurs, cette instabilité venant de pays du Sud s’est aggravée depuis le départ des forces françaises, du Mali et du Niger renforçant les inquiétudes européennes et américaines sur l’évolution des organisations terroristes. En revanche, le Maroc épargné par les menaces du Sahel a développé une initiative en direction de plusieurs États de la région leur garantissant un accès à l’océan atlantique. En effet, le 6 novembre 2023, Rabat a lancé dans la ville de Marrakech la « Stratégie atlantique pour les pays du Sahel » lors d’une réunion le 23 décembre 2023 en présence des ministres des Affaires étrangères du Maroc, pays hôte, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad. L’initiative marocaine est ambitieuse puisqu’elle repose sur l’accès à l’océan Atlantique pour les pays enclavés du Sahel. Mais elle reste limitée dans la mesure ou le Maroc lui même n’est pas relié géographiquement à ces pays. La Mauritanie, le Sénégal et la Guinée-Conakry étaient absents.
C’est dans ce contexte particulier non favorable à l’Algérie qu’il convient de comprendre l’initiative de l’Algérie en direction de ses voisins tunisien, libyen et mauritanien. Alger a besoin de mobiliser particulièrement la Libye et la Tunisie pour leur proposer une nouvelle offre de coopération. S’agit-il d’une volonté de remplacer l’UMA? Non. L’Algérie est consciente du fait que les conditions ne soient pas réunies pour un tel projet. Mais, face à une percée diplomatique du Maroc dans le continent africain, Alger constate que les deux mandats de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ont immobilisé la diplomatie algérienne au profit d’une diplomatie marocaine active et volontariste. La Mauritanie n’est pas favorable à une politique des axes et adhère à l’initiative sans s’engager sur le fond dans une initiative dont les contours restent ambiguës.
Pour l’Algérie, il s’agit donc de créer une nouvelle plate-forme de concertation qui permet de discuter des questions de sécurité et de politique étrangère. Ce qui n’est pas sans rappeler le format du Forum 5 + 5 réservé au ministre de la défense et de la sécurité des États euro-méditerranées riverains de la Méditerranée. C’est pourquoi, le 22 avril 2024 à Tunis, le sommet tripartite du Maghreb auquel ont participé les présidents tunisien, Kais Saied, algérien, Abdelmadjid Tebboune, et le chef du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Al-Menafi s’est débouché sur une déclaration de consensus. La déclaration finale insiste sur le renforcement de la coordination en matière de sécurité, la protection des frontières et le contrôle de la migration irrégulière, notamment en provenance des pays africaines vers l’Europe.
La Déclaration de Tunis revient également sur l’engagement des trois chefs d’Etats à renforcer la coopération économique et les investissements bilatéraux. Mais les éléments les plus significatifs dans la déclaration finale sont ceux qui ont trait à la protection et la sécurisation des frontières et la nécessité d’un règlement politique de la crise en Libye. D’où l’importance des discussions entre l’Union européenne et les trois pas présent à Tunis. Alger semble convaincu de la pertinence d’une position commune dans les négociations avec l’Union européenne et veut montrer ses atouts ainsi que son initiative pour défendre sa position comme un acteur incontournable face aux Européens.
En définitive, le Maghreb n’est pas une victime collatérale d’une compétition entre Alger et Rabat. l’UMA est déjà dans une situation de mort clinique. Cette fois-ci, les enjeux sont ailleurs. Alger a des craintes légitimes au niveau de sa sécurité nationale venant du Sahel et de la Libye et tirent à une position de force dans les négociations avec les Européens. Avec Trois États du Maghreb réunis dans un cadre de dialogue, elle sait que sa position sera mieux écoutée et mieux respectée. Le Maroc, à l’abri des secousses du Sahel, veut consolider son influence africaine et en faire usage pour sa cause centrale: le Sahara occidental.
Cette guerre d’influence entre les deux voisins risque d’affaiblir d’avantage la région au détriment de nouveaux acteurs qui ont déjà une longueur d’avance sur les deux poids lourds du Maghreb. Ainsi, la rencontre de Tunis s’inscrit plutôt dans un processus de multiplication d’initiatives diplomatiques et non pas pour saborder l’UMA. Un processsu appélé a s’intensifier tant que la tension entre le Maroc et l’Algérie reste la règle dans les relations.
Cette dynamique qui conduit à la production d’initiatives diplomatiques reste moins dangereuse que la dynamique conflictuelle. La Tripartie de Tunis trahit un déficit en matière d’espace de dialogue et de concertation. Il est temps que les peuples s’emparent de cette question et réclamer un renouveau maghrébin fidèle aux principes énoncés à Tanger en avril 1958 par des précurseurs de l’indépendance et de la construction maghrébine. Nous pourrions laborieusement avancer ensemble dans ce qui nous rapproche et laissons de coté ce qui nous éloigne.
Hasni Abdi est le directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM).