Après un quart de siècle de présence massive en République Démocratique du Congo la Mission de l’Organisation des Nations-unies pour la stabilisation (MONUSCO) devrait bientôt se désengager totalement, laissant derrière un pays toujours en proie aux violences des groupes armés à l’est, à l’émergence ou à l’accentuation d’autres foyers des tensions dans plusieurs régions du pays. Le Conseil de sécurité vient en effet de répondre favorablement à la demande pressante et répétée des autorités congolaises d’accélérer le retrait de la MONUSCO dont les derniers éléments devraient avoir quitté le pays fin 2024. Les dernières années de la mission auront été particulièrement très tendues pour la mission et ses Casques bleus accusés d’inefficacité et de passivité à la fois par les populations civiles victimes des nombreuses violations dont des meurtres à grande échelle et par le gouvernement congolais sous pression des groupes armés. La MONUSCO est donc désormais poussée vers la sortie sur fond de rancœur et d’échec, et son dernier baroud d’honneur serait de réussir sa sortie.
L’une des missions les plus anciennes et les plus coûteuses d’Afrique
La MONUSCO est pourtant la mission onusienne de tous les superlatifs. Mise en place en 2010 (en remplacement de la MONUC qui était déployée depuis 1999), elle est à ce jour la plus longue déployée en Afrique. Son budget annuel évalué à plus d’un milliard de dollars américains la place parmi les plus coûteuses, dans la même fourchette que la MINUSMA lorsqu’elle était encore au Mali jusqu’en 2023 et la MINUSS au Soudan du Sud. Ses effectifs autorisés par le Conseil de sécurité pour ce qui devrait être son dernier mandat s’élève à 13 500 militaires, 660 observateurs militaires et officiers d’état-major, 591 policiers et 1 410 membres d’unités de police constituées jusqu’au juin 2024, qui seront réduits à 11 500 militaires, 600 observateurs militaires et officiers d’état-major, 443 policiers et 1 270 membres d’unités de police constituées au dernier semestre de l’année.
Les débuts de la mission ont été des succès. Lorsqu’elle est créée et déployée ,suite à la résolution 1279 du 30 novembre 1999, la MONUC a comme principal mandat l’observation du cessez-le-feu signé à Lusaka en juillet 1999 entre les acteurs de la deuxième guerre de la RDC ayant opposé des mouvements rebelles congolais appuyés par des puissances régionales au gouvernement de Kinshasa lui-même issu d’une rébellion appuyée par les mêmes puissances Ce mandat initial sera par la suite élargi à d’autres tâches telles que la protection des civils, la réforme du secteur de la sécurité et l’organisation des élections, dont elle s’est acquittée avec quelques succès.
Le maintien du cessez-le-feu et d’un minimum de dialogue entre les parties au conflit.
Les accords de Lusaka n’ont cependant pas été respectés dans la foulée de leur signature, et les hostilités ont continué sur le terrain. Le déploiement de la Mission de l’Organisation des Nations-unies au Congo en novembre de la même année n’y changera rien, ou presque. Dès le départ, la MONUC est confrontée à un paradoxe, qui le poursuivra durant toute sa présence en RDC, y compris sous la casquette de la MONUSCO, celui de faire observer un cessez-le-feu alors que les hostilités étaient encore en cours. Son rôle allait cependant être crucial et fructueux après la signature de l’accord signé à Sun City en Afrique du Sud, après un laborieux dialogue inter-Congolais. Cet « Accord global et inclusif sur la transition en RDC » est en réalité basé sur le principe du « partage vertical et horizontal » des postes de pouvoir à travers le contrôle des institutions. A chacune des composantes et entités à l’accord est attribuée un pan de l’Etat congolais, qu’elle gère selon le principe patrimonial. Le morcellement géographique qui avait résulté des rapports de force militaires est ainsi renforcé et légitimé par cet accord, dont la partie la plus visible de l’iceberg sera l’attelage invraisemblable au sommet, avec un Président de la République flanqué de quatre vice-présidents, issus des belligérants (gouvernement, MLC, RCD ) ainsi que de l’opposition politique, selon la formule 1+4.
Dans ce paysage politiquement éclaté où les ex-belligérants se méfient les uns des autres la MONUC a contribué à établir un minimum de contact. Elle a donc à peu près réussi à aider à la réunification et à la restauration de l’intégrité territoriale du pays selon les termes de son mandat d’alors. Au terme de la transition, l’apport de la mission onusienne sera autrement plus crucial dans l’organisation des élections de 2006, tant pour le déploiement du matériel et du personnel de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) que dans l’éducation civique des électeurs ou encore le renforcement de la police nationale congolaise en matière électorale lors des deux tours d’une présidentielle tendue.
Les Casques bleus ont par la suite contribué à apaiser les tensions post-électorales entre Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba – alors le Président et vice-président du pays- dont les gardes respectives s’étaient affrontées en plein centre de Kinshasa après la proclamation des résultats. Lors des cycles électoraux suivants, l’implication de la mission onusienne sera de moins en moins massive.
La défaite du M23 en 2013.
La contribution significative des forces de la MONUSCO à la défaite du M23 en 2013 restera cependant sans aucun doute la principale success story de la MONUSCO en RDC. Paradoxalement, elle sera aussi la cause des tensions ultérieures entre la force onusienne et l’opinion congolaise. Le 4 novembre 2013, le Mouvement du 23 mars (M23), né d’une mutinerie d’anciens rebelles, essentiellement tutsi, intégrés dans l’armée trois ans plus tôt après un accord de paix, annonçait mettre un terme à sa rébellion après une défaite cinglante suite à laquelle ses hommes de troupe ainsi que son administration se sont exilés au Rwanda et en Ouganda.
Plusieurs facteurs ont conduit à ce résultat encore inimaginable quelques mois auparavant, alors que le M23, au faîte de sa puissance, avait occupé pendant une dizaine de jours la ville de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, où étaient pourtant déployés plusieurs contingents de la MONUSCO. Les puissances occidentales dont les États-Unis et certains bailleurs des fonds ont exercé une forte pression sur l’Ouganda et le Rwanda, parrains du M23, certains menaçant même de couper le cordon de la bourse de l’aide dont dépendent grandement ces pays. La pression militaire de l’armée congolaise, avec un appui logistique important de la MONUSCO, notamment dans les airs, a cependant été le fer de lance de cette victoire, la première des FARDC depuis des années.
La Brigade d’intervention (FIB) créée en mars 2013 (résolution 2098) par le Conseil de sécurité au sein de la MONUSCO a été déterminante. La FIB était composée de trois bataillons d’infanterie, d’une compagnie d’artillerie, d’une force spéciale et d’une compagnie de reconnaissance fournies par l’Afrique du Sud, le Malawi et la Tanzanie. Comme si l’histoire et l’actualité de cette région bégayaient, en cette année 2024, les mêmes pays se sont engagés à déployer des troupes dans le cadre de la SAMIRDC en vue de combattre le M23 qui a repris les armes en novembre 2021.
Quant à la FIB, elle a semblé remiser ses armes après sa contribution à la défaite du M23, alors que des centaines d’autres groupes armés ont continué à proliférer et à prospérer. Les rebelles terroristes ougandais de l’Allied Democratic Forces (ADF) ont particulièrement endeuillé le territoire de Beni, dans la partie septentrionale du Nord-Kivu frontalière avec l’Ouganda, avant de s’épandre vers la province voisine de l’Ituri, malgré la présence massive des forces armées congolaises et … de la MONUSCO. Cette perception de l’inertie face aux massacres sera à la base du sentiment anti-MONUSCO au sein de la population congolaise. Là où les responsabilités sont sans nul doute partagées entre les forces étatiques de sécurité et la MONUSCO, cette dernière sert souvent de bouc-émissaire commode. Face à ce sentiment anti-MONUSCO de plus en plus partagé au sein de la population, le gouvernement a décidé de mettre un terme à la présence de la MONUSCO d’ici à la fin 2024.
La victoire la FIB de 2013 a donc été considérée comme faisant jurisprudence, alors que la résolution 2098 spécifiait que cela ne devrait en aucun cas être le cas.
La relation ambivalente avec le pouvoir de Kinshasa.
Lorsque la MONUC s’installe à Kinshasa en 1999, la RD Congo n’a pas encore commencé à se remettre de la guerre qui a fini de détruire les derniers vestiges de l’Etat abandonné par le maréchal Mobutu en 1997. A la tête d’une présidence monstrueuse à cinq, dont deux disposent encore de l’intégralité de leurs armées, Joseph Kabila a un besoin vital d’avoir une mission onusienne pour éviter au pays de retomber dans le chaos à la moindre incartade au sein de cette coalition présidentielle.
Les relations entre Kinshasa et la mission onusienne vont progressivement se tendre au fur et à mesure que Kabila va asseoir son pouvoir, et devenir exécrables à l’approche de 2016 lorsque , à la fin de son second et dernier mandat constitutionnel, il va tenter de s’accrocher au pouvoir.
Cette ambivalence prévaudra quelques années plus tard, avec l’avènement de Félix Tshisekedi au pouvoir.
En janvier 2019, Tshisekedi accède à la présidence suite à une élection controversée mais il souffre beaucoup plus du rapport des forces qui lui sont défavorables dans la nouvelle configuration politique. Joseph Kabila a certes perdu la présidence mais ses fidèles alliés contrôlent le Parlement, le Gouvernement ainsi que la Cour constitutionnelle. Le secteur de la sécurité, armée, police et renseignements, sont également entre les mains de ses proches. Dans cet environnement « hostile », Tshisekedi va beaucoup s’approcher de la MONUSCO avec laquelle les relations sont de nouveau au beau fixe.
Les développements sécuritaires à l’est du pays, avec la poursuite des massacres à grande échelle des civils de Beni par les terroristes ougandais Allied of Democratic Forces (ADF) et surtout la résurgence du M23 en novembre 2021 vont de nouveau détériorer les relations entre Tshisekedi et la force onusienne.
Selon le plan stratégique de sortie négocié avec le gouvernement, les Casques bleus devraient céder leurs responsabilités à l’armée et à la police congolaises. Si un tel transfert relève de la simple logique, il sera cependant fort risqué, notamment pour les millions des déplacés internes de l’est dont certains sont regroupés dans des camps proches des bases de la MONUSCO où ils bénéficient d’une sécurité toute relative contre les groupes armés ethniques qui rôdent tout autour.
Qu’est-ce qui devrait être mieux fait ?
- Les missions de maintien de la paix demeurent des outils importants là où des pays sortent des conflits et lorsque l’Etat ne dispose pas encore de forces de sécurité propres (armée, police) pour garantir la sécurité pour tous ses habitants à l’intérieur de ses frontières.
- Il va de soi que pour qu’une mission de maintien de paix soit efficace, il faudrait qu’il y ait une paix à maintenir. L’échec de la MONUSCO en RDC est en partie dû au fait qu’elle a été rapidement confrontée à des formes de guerre, ce qui lui aurait demandé de se muer en mission d’imposition de la paix. Cela passait évidemment par la reformulation de son mandat et le consentement des pays contributeurs des troupes.
- La mission devrait avoir un plan de sortie clair à son déploiement, incluant impérativement une stratégie pour sa relève et la durabilité de ses actions. Cela a clairement manqué pour la MONUSCO qui, après autant d’années en RDC, craint -avec raison d’ailleurs- de laisser un vide sécuritaire dans certains endroits où elle est encore le dernier rempart des déplacés de guerre contre les assauts des miliciens et autres groupes armés.
- De telles missions devraient enfin être des forces de proximité, avec des canaux de communication clairs à la fois avec les autorités mais aussi avec les populations hôtes afin de limiter les incompréhensions, y compris les attentes démesurées des partenaires vis-à-vis des missions dont la puissance et les pouvoirs sont souvent surestimés.
Onesphore Sematumba est analyste RDC et Burundi à International Crisis Group.