L’Union du Maghreb Arabe… le rêve est encore possible

Il y a quinze ans, j’ai écrit un éditorial dans le journal que je dirigeais à Casablanca, intitulé sous forme de question : « Pourquoi le rêve maghrébin a-t-il échoué ? » C’était à l’occasion du 20e anniversaire de la création de l’Union du Maghreb Arabe. Dans cet éditorial, je mettais l’accent sur une cause majeure parmi d’autres qui empêchent la réalisation de ce rêve : l’absence de démocratie. J’écrivais que les cinq pays du Maghreb sont, sans exception, non démocratiques. Au Maroc, la monarchie exécutive concentre tous les pouvoirs entre les mains du roi. En Algérie et en Mauritanie, c’est l’institution militaire qui dirige réellement le pays. En Tunisie, c’était le régime policier de Ben Ali qui étouffait les libertés. Quant à la Libye, c’était la dictature du colonel Kadhafi qui dominait tout : pouvoir et ressources. 

Le lendemain de la publication de cet éditorial, j’ai reçu un long communiqué de l’ambassade de Libye à Rabat, me qualifiant d’« ignorant » pour « ne rien comprendre dans le régime de la jamahiriya » instauré par Kadhafi. Le communiqué était accompagné d’un colis contenant plusieurs exemplaires du « Livre Vert », traduits en différentes langues, ainsi que d’autres ouvrages faisant la promotion de ce que la propagande officielle libyenne appelait à l’époque « la troisième théorie universelle du colonel Kadhafi »..

Par respect du droit de réponse, nous avons publié le communiqué. Mais une semaine plus tard, j’ai été convoqué par la police judiciaire marocaine. Le ministère des Affaires étrangères du Maroc — probablement sous pression de l’ambassade libyenne — avait porté plainte contre moi pour atteinte publique à la dignité et à la personnalité du leader libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, parce que je l’avais qualifié de dictateur. Devant le tribunal, le représentant de Kadhafi a exigé les sanctions les plus sévères, ainsi qu’un dédommagement d’un million de dollars, affirmant que la dignité du colonel n’a pas de prix, selon les termes de sa défense pour justifier cette forte compensation financière. Le tribunal a accédé à cette demande, me condamnant à une année de prison ferme et à une amende d’un million de dirhams marocains, soit environ 100 000 dollars.

Mais l’ambassade libyenne n’a pas été satisfaite du jugement et a fait appel. Entre-temps, les révolutions du Printemps arabe ont éclaté, à partir de la Tunisie, atteignant ensuite la Libye, mettant fin au régime de Kadhafi, à sa jamahiriya et à sa théorie universelle. Lorsque la cour d’appel a repris l’affaire, après la mort de Kadhafi, elle a rendu son verdict dès la première audience : acquittement, prononcé en mon absence, et bien entendu, en l’absence de Kadhafi et de sa défense. Ce qui prouve, d’une certaine manière, l’indépendance de la justice marocaine !

Pourquoi ai-je commencé par ce récit personnel pour parler de l’Union du Maghreb Arabe ? Parce que je crois toujours que l’absence de démocratie est le principal obstacle à la réalisation de cette union. Aucun projet d’union entre ces régimes n’a réussi, y compris celui des cinq pays proclamé à Marrakech il y a 36 ans, derrière une photo historique rassemblant leurs dirigeants. Chacun avait ses propres calculs et agendas, et tous étaient des régimes non démocratiques.

L’absence de démocratie

En parlant de démocratie, je ne prétends pas faire une découverte. Même par le passé, des élites de gauche désespérées de convaincre leurs régimes ont porté l’idée d’un « Maghreb des peuples », pour dépasser les régimes autoritaires. Dans tous les modèles d’union réussie à travers le monde, la démocratie est un préalable essentiel : l’Union européenne en est l’exemple le plus parlant. Elle a commencé entre quelques pays partageant des régimes démocratiques. L’un de ses critères d’adhésion (les critères de Copenhague) exige l’existence d’institutions démocratiques stables, l’État de droit, les droits humains et la protection des minorités.

Dans le cas maghrébin, ces critères sont absents, et d’autres problèmes aggravent la situation : l’instabilité, comme en Libye devenue un État failli menacé de partition ; le conflit sur le Sahara occidental, qui empoisonne les relations entre le Maroc et l’Algérie, les deux piliers de tout projet d’union ; et l’absence presque totale de complémentarité économique : les échanges commerciaux entre les pays maghrébins représentent à peine 5 % de leur commerce total, majoritairement orienté vers l’Europe, la Chine et, plus récemment, les Émirats et Israël, dont les agendas sont loin d’être neutres.

Mais le plus grand obstacle demeure l’absence de volonté politique. Depuis le Printemps arabe et les contre-révolutions qui ont suivi, les régimes restants se sont repliés sur eux-mêmes, se concentrant sur les crises internes. Tous les pays du Maghreb ont connu un recul démocratique (Tunisie, Maroc, Algérie). Dans le même temps, des discours chauvins se sont intensifiés, nourris par la propagande étatique pour consolider le soi-disant « consensus sacré » autour des constantes nationales — en réalité des prétextes idéologiques pour maintenir le pouvoir et étouffer les voix dissidentes.

Faut-il alors désespérer?

L’échec ne signifie pas l’absence du besoin d’une Union maghrébine, et il n’est pas uniquement lié à l’absence de volonté politique réelle pour dépasser les différends historiques et politiques. Il ne faut pas non plus tout imputer à la complexité des facteurs politiques, économiques, historiques et géopolitiques qu’il serait trop long d’énumérer ici. Le gel prolongé de l’idée d’union fait perdre chaque année de précieuses opportunités de développement et d’intégration régionale. Mais c’est surtout l’absence de débat autour de ce rêve qui retarde sa concrétisation et le rend apparemment irréalisable.

C’est là qu’intervient l’importance d’initiatives comme celle du Centre International pour les Initiatives de Dialogue (ICDI), qui vise à renforcer le rôle de la société civile dans les cinq pays du Maghreb, en lançant des discussions constructives et en développant des initiatives communes, capables de dépasser les différends politiques et historiques, et de bâtir des ponts de confiance et de coopération entre les élites, tout en impliquant les sociétés civiles pour créer un environnement où les initiatives citoyennes puissent influencer les décideurs politiques de leurs pays.

Une feuille de route

La relance du rêve maghrébin commence par l’élaboration d’une feuille de route capable de dépasser l’héritage historique bloquant, et de reconstruire la confiance et l’intégration sur des bases nouvelles, réalistes et efficaces. Cette feuille de route doit prendre en compte les défis géopolitiques et économiques actuels, activer des rôles nouveaux pour des acteurs non traditionnels, et s’appuyer sur le pouvoir doux de la société civile, avec une forte implication de la jeunesse. Cela passe par le lancement de dialogues informels entre les élites culturelles, économiques, politiques et médiatiques indépendantes des différents pays du Maghreb, ainsi que par la mise en place de programmes d’échange culturel, académique et artistique qui encouragent l’innovation et dépassent les obstacles juridiques et bureaucratiques qui entravent les jeunes talents de la région, afin de bâtir de nouveaux ponts de confiance entre les générations, fondés sur des valeurs communes et une histoire sociale partagée.

Il n’existe pas de recette toute faite pour construire une union entre plusieurs États indépendants et souverains, mais rien n’empêche non plus de proposer et de tester des idées. Même si elles n’aboutissent pas, l’honneur d’avoir essayé suffit : il témoigne de la volonté, de la détermination et de l’effort fourni pour continuer sur la voie jusqu’à atteindre l’objectif souhaité. Dans le cadre de la recherche d’une intégration entre les pays du Maghreb, ce dont ont besoin les porteurs de ce rêve, c’est d’une volonté politique libre, d’un leadership visionnaire qui place les intérêts de ses peuples et de ses pays au premier plan, et d’une marche progressive, sans brûler les étapes. Il faut partir des points de convergence, des intérêts communs, même s’ils sont modestes, et laisser de côté — sans les oublier — les sujets de discorde, pour les traiter progressivement à travers des compromis élargis, même si cela exige des concessions mineures au départ, dans le but de construire la confiance, qui est l’élément essentiel pour avancer ensemble. Peu importe si le départ se fait avec un nombre limité de pays, même seulement deux, car chaque succès qu’ils réaliseront deviendra une force d’attraction pour les autres, les incitant à rejoindre le mouvement.

Le rêve de bâtir une Union des pays du Maghreb n’est pas mort, mais il est plongé depuis des décennies dans une sorte de coma presque total. Le réveiller nécessite une vision claire et des décisions courageuses — pas seulement de la part des « décideurs », car leurs régimes n’ont pas intérêt à une union qui réduirait leurs pouvoirs et rapprocherait leurs peuples. La responsabilité de faire revivre l’idée d’union repose donc aujourd’hui sur les épaules de ceux qui détiennent le « pouvoir doux », pour construire une nouvelle génération maghrébine capable de surmonter tous les obstacles et de réaliser ce rêve, porté par les générations pionnières et toujours nourri par l’espoir de la jeunesse.

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