Pour la relance du projet maghrébin commun

Après l’annonce par l’Algérie de la rupture de ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021, les relations entre les deux pays sont passées d’un état de froideur chronique à un gel complet. De nombreux événements survenus depuis ont exacerbé les tensions entre les deux voisins, entraînant la région vers un avenir incertain. La course à l’armement engagée par les deux pays, ainsi que la propagation d’un discours de haine dans certains médias et sur les réseaux sociaux, visant à monter les peuples algérien et marocain l’un contre l’autre, renforcent la probabilité d’un affrontement militaire à l’avenir si la crise n’est pas maîtrisée. Cela compromet également la stabilité et les bases de la paix dans la région du Maghreb.

Les relations maroco-algériennes se sont distinguées, au cours des six dernières décennies, davantage par la rupture que par le dialogue. Une situation de « non-hostilité » et de « non-rapprochement » a généralement prévalu, empêchant la réalisation des potentialités offertes par leur voisinage, tout en maintenant les tensions à un niveau relativement bas, évitant ainsi la répétition de confrontations militaires directes ou indirectes comme celles des années 1960 et 1970. Toutefois, la normalisation des relations du Maroc avec Israël et son engagement dans des accords sécuritaires et militaires a marqué une évolution inquiétante qui a aggravé les tensions bilatérales.

Indépendamment des justifications avancées pour expliquer cette escalade ou pour s’y opposer, il est clair que ce nouveau chapitre dans la vieille crise entre les deux pays mène à des scénarios pour la plupart indésirables. Le plus raisonnable pour l’instant serait de contenir les tensions actuelles, notamment en réduisant les discours hostiles et provocateurs émanant de différentes parties dans les deux pays, en vue de préparer le terrain à une nouvelle phase de réconciliation.

Il est également évident que le rêve de construire l’Union du Maghreb est aujourd’hui plus éloigné que jamais. Aucun progrès significatif dans ce projet stratégique, fondé par les pionniers des luttes pour l’indépendance des pays maghrébins, ne saurait être envisagé sans une restauration des relations entre les deux plus grands pôles démographiques, économiques et politiques de la région. En réalité, la complexité des relations entre le Maroc et l’Algérie demeure l’obstacle principal à l’édification de l’Union du Maghreb. Les sources de tension sont multiples : histoire complexe, rivalité régionale, et fermeture des frontières depuis un quart de siècle, imposant une punition collective aux populations frontalières. Toutefois, le point de discorde majeur reste la question du Sahara occidental, que les deux pays n’ont pas réussi à résoudre au sein de la famille maghrébine et qui a été confiée à l’ONU, sans solution depuis plus de quarante ans.

Les autres pays maghrébins – la Tunisie, la Libye et la Mauritanie – observent cette impasse avec un mélange de frustration et d’impuissance. Ils ont, pour la plupart, choisi de se tenir à l’écart du conflit entre les deux grands, tout en se retrouvant eux-mêmes plongés, au cours de la dernière décennie, dans des crises internes profondes, notamment la Libye en proie à la guerre civile, et la Tunisie confrontée à un blocage du processus de transition démocratique.

Malgré cette situation sombre, quelques lueurs d’espoir subsistent. La grande majorité des populations de la région reste attachée au rêve des pères fondateurs d’une union maghrébine. Les différends politiques ont, jusqu’à récemment, été largement cantonnés aux sphères dirigeantes, sans affecter profondément les relations entre les peuples – bien que l’on assiste récemment à une montée inquiétante des discours haineux relayés par les médias et les réseaux sociaux.

Outre les facteurs culturels et psychologiques qui rendent ce projet d’union aisément appropriable par les peuples, de nombreux défis politiques, économiques et sociaux pressants plaident en faveur de cette union, devenue une nécessité vitale. La région du Sahel, qui borde le Maghreb au sud, est le théâtre d’activités déstabilisatrices : terrorisme, trafic d’armes, traite humaine, migration illégale, etc. La Libye est devenue une arène d’enjeux et d’intérêts étrangers concurrents en l’absence de coordination maghrébine. Par ailleurs, les pressions économiques pesant sur chaque pays – chômage, sécurité alimentaire, hydrique et énergétique, concurrence des blocs régionaux, dévaluation monétaire, baisse du pouvoir d’achat – seraient bien mieux affrontées collectivement, en mettant en œuvre les potentiels économiques de la région.

Les pays du Maghreb ont raté d’innombrables occasions de tirer profit de la complémentarité de leurs économies, gaspillant ainsi des années et des ressources qui appartiennent aux générations futures, et non aux dirigeants incapables d’adopter une logique de réconciliation et de sortir de la spirale conflictuelle. Aujourd’hui encore, la région maghrébine demeure l’une des moins intégrées au monde. Il suffit de comparer les réalisations économiques, politiques et sociales d’autres regroupements régionaux au sein de l’Union africaine pour mesurer l’ampleur du retard et des pertes subies par le Maghreb.

C’est dans ce contexte que le Centre International pour les Initiatives de Dialogue ouvre le dossier de l’Union du Maghreb comme cadre possible pour débattre des questions conflictuelles, réfléchir à des solutions aux crises actuelles et prévenir de nouveaux conflits inutiles. Le centre tente de briser le mur du silence derrière lequel se cache la majorité silencieuse favorable à l’union maghrébine, face à la domination du discours des partisans de la rupture.

Dans cette optique, le centre mettra en place une plateforme pour créer un comité spécialisé dans la réflexion positive autour du projet maghrébin commun. Son objectif sera de diagnostiquer les obstacles à la concrétisation de ce projet, de proposer des solutions aux problèmes existants, de lancer des initiatives de réconciliation, et de produire des études et notes de politique publique pour mieux comprendre la question maghrébine. Ce comité sera composé de personnalités maghrébines expérimentées, jouissant d’une indépendance intellectuelle. Il définira, par consensus de ses membres, son programme, sa méthode de travail, son calendrier et ses dates de réunion.

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